En 3 décennies de mode affranchie, Karl Lagerfeld a su dessiner la silhouette la plus emblématique de notre époque : l'insaisissable, entre quintessence du chic et effortless sans prise de tête. Derrière un look austère, composé de lunettes noires qu’il ne saurait retirer, de mitaines en cuir et d’une queue de cheval aussi immaculée que Choupette, sa chatte, se trouve une créativité abonnée au changement et à son amusement. Une fureur de vivre qu’il dessine en silhouettes avant de les faire défiler en haut des podiums. De ses traits d'imagination, un style somnolent devient instantanément un phénomène accessible et désirable. Aujourd’hui et plus que jamais, ses prouesses créatives et son entité singulière résonnent au sein d’une industrie qui, depuis 5 ans, apprend à se réinventer sans lui. Karl Lagerfeld nous a quittés, sa vision, elle, jouit d’une éternelle prospérité.
Ce mois de juin, la sphère mode connaît bon nombre de rebondissements, tous exerçant un parfait écho à Karl Lagerfeld et l’héritage fulgurant de sa création innovante. En février 2019, le Kaiser d’une industrie rayonnante de conception nous quittait, éteignant alors une splendeur couture qu’il tissait avec grâce et audace au sein de la Maison Chanel depuis 1983. 5 ans après sa disparition, s’est installé un suspens créatif pour la griffe aux C entrelacés, noblement entretenu par son bras droit, Virginie Viard. Le 5 juin dernier, au soir, une annonce inédite a fait trembler l’héritage Lagerfeld chez Chanel : le départ de la directrice artistique amie du défunt couturier, laissant la place libre au titre le plus convoité du secteur.
Qui osera remplacer l'irremplaçable ? Entre Hedi Slimane, favori du créateur allemand, mais aussi Pierpaolo Piccioli, fraîchement gracié de son travail chez Valentino, ou encore, Marine Serre, que le Kaiser admirait pour son regard novateur… Multiples sont les suspicions quant au potentiel successeur du couturier sacré. Une actualité brûlante qui rappelle ce que la mode doit à Karl Lagerfeld, rock star visionnaire aussi sage que provocateur, qui a imprégné l’industrie de sa personnalité. Juin a ensuite étincelé son génie par le prisme d’une série Disney + intitulée Becoming Karl Lagerfeld, ou l’anatomie d’un créateur cérébral simplement complexe.
Becoming Karl Lagerfeld : le parcours du créateur sous toutes ses coutures
©Disney+
Quand les créateurs qui font la mode en deviennent les stars. Au début des années 70 jusqu’à l’aube des années 80, notre regard suit la trajectoire de Karl Lagerfeld, bien installé au prêt-à-porter chez Chloé. Dans un Paris branché et abonné à la débauche qui sert de toile de fond à l’intrigue, la série Disney + fait le portrait d’un créatif mystérieux car réservé, arrogant car stoïque, fascinant car passionné. Cette adaptation du roman Kaiser Karl de Raphaëlle Bacqué concentre sa substance sur la vie personnelle du couturier, aimant du dandy ambulant qu’est Jacques de Bascher avant qu’il ne devienne l’amant toxique de son fidèle concurrent : Yves Saint Laurent. Trahison et jalousie comme fil rouge de la série, si ce portrait du Kaiser nous situe au plus près de lui, son essence créative et sa soif de couture se placent au second plan. Manque de défilés, de croquis et de bouts de tissus, de sa rivalité avec Saint Laurent naît un tournant dans la mode, redéfinissant ses codes. Face à une industrie du luxe qui saisit le créneau des parfums et du prêt-à-porter, Karl Lagerfeld est le premier à façonner cette Renaissance mode, bientôt au sein de la Maison Chanel.
Chanel : prouesse Haute Couture sous le signe d’une renaissance
Semblable à un artiste de la Renaissance, animé par les arts et leurs sciences, le Kaiser de la mode signe une ouverture d’esprit remarquable au cœur d’une industrie nourrie de jugements, si ce n’est de snobisme. En 1983, aux portes de Chanel qui frôle alors la fermeture complète, Lagerfeld doit relancer l’activité. Maison poussiéreuse qui ne capture plus que l’attention de bourgeoises de Province, l’essence de Gabrielle Chasnel est à réinventer. Une toile blanche pour peindre la renaissance d’une Maison de couture. Le génie allemand se hisse en tête de file de ce phénomène qui engage directeurs artistiques à faire renaître de leurs cendres des grands noms du luxe en voie d’extinction. Twin Set, iconiques C entrelacés, tweed, costumes en jersey fluides, marinière rayée, turbans et petites robes noires… Pendant trois décennies, Karl Lagerfeld manipule avec noblesse les codes de la Maison pour traduire une allure raffinée et luxueuse à la fois, éternellement boyish, résolument féminine.
Héritage : Lagerfeld passe, le Kaiser demeure
Caractéristique d’une audace aussi puissante que discrète, la mode Coco par Lagerfeld est subtilement mordante, aux yeux de tous, stupéfiante. Sur le haut du podium de ses premiers défilés, le couturier confie à la mannequin Inès de la Fressange l’image de la fille Chanel, nonchalante à souhait et androgyne au je-ne-sais-quoi magnétique. En 1991, il choisit Vanessa Paradis, figure de la chanson française à la beauté angélique répondant à une élégance naturellement effortless, pour incarner Chanel numéro 5, la fragrance emblématique autrefois portée par Marilyn Monroe herself. Dans l’objectif de Jean Paul Goude, Paradis est une sublime créature, elle est l’oiseau Coco. Karl Lagerfeld multiplie les liens entre Haute Couture et pop culture, l’engouement y gagne son paroxysme. La prouesse créative pour présenter la mode Chanel à la quintessence de l’exception ? Une myriade de défilés spectaculaires aux décors ahurissants dont l’imaginaire frôle les verrières du Grand Palais. Supermarché, fusée, plage, veste en tweed XXL ou encore carrousel, le show Chanel est une fête, de la prestigieuse liste d’invités aux décors, pour enfin arriver aux silhouettes.
Un look emblématique et des citations iconiques, on retient de Karl Lagerfeld un appétit pour tout ce qui traverse son esprit. En 2004, il allie prestige à mass market et dessine une collection pour H&M, dont des chemises à seulement deux chiffres convertissent une clientèle plus vaste qui adhère à cette approche visionnaire. Du jamais vu, le couturier aussi photographe capture aussi bien un cliché de Naomi Campbell, super model intouchable, que de Zahia en lingerie, ex call-girl parfaitement scandaleuse. À travers le regard du Kaiser, la mode parle à tout le monde, une leçon de style essentielle qui rime aujourd’hui comme une évidence. Éternellement irremplaçable, sa philosophie singulière a façonné toute une industrie comme bon lui semblait. “La personnalité commence où finit la comparaison.” K.L.
Écrit par Téa Antonietti