À quoi ressemblera le luxe dans 15 ans ? Le savoir-faire saura-t-il résister à l’épreuve du temps ? Quelle transmission du luxe pour les générations futures ? En l’espace d’une matinée à l'auditorium du Groupe Le Monde, quelques-unes des figures les plus emblématiques du secteur, issues de Maisons historiques comme de médias incontournables, ont répondu aux questions que tout le monde se pose lorsque l’on conjugue luxe avec développement durable.
Avec, au programme : des tables rondes constructives, des entretiens pertinents et des études exclusives, 10 échanges se sont articulés autour de la transition écologique dans le luxe. Cette matinée, l’ambition première était de faire le tour de la question, afin qu’une nouvelle fois posée, toute interrogation puisse se transformer en action.
8 heures 50. Le café est encore chaud, les sièges de l'auditorium sont encore froids, mais c’est l’énergie enivrante d’Émilie Kovacs, rédactrice en chef de The Good, qui propulse instantanément l’auditoire dans un élan novateur tourné vers le futur et sa biodiversité. Les portables sont éteints et les esprits grands ouverts, il n’est pas question de perdre une miette de ces prises de parole généreuses d’idées.
Le collectif, c’est la force
9 heures, le mot pour introduire. Hélène Valade, directrice développement environnement du Groupe LVMH et présidente de l’ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises) donne le ton de cette première édition de The Good Forum Luxe. Ses paroles mettent l’accent sur l’émergence d’un luxe nouveau et les défis à relever quant au climat et à la biodiversité. Face à ces challenges, Hélène Valade invite à joindre les forces.
Un symbole fort, qui, au-delà de la concurrence, appelle les marques à coopérer pour obtenir une réconciliation entre art, créativité et nature, là étant la mue du luxe. S’il est lisse, symétrique et parfait, le luxe se doit d’être circulaire. L’essence même du luxe serait-elle alors d’user avec exubérance les ressources naturelles, ou bien de cultiver sa rareté en se réinventant luxe conscient ?
9 heures 15. Face à ce paradoxe, Yves Hannania, co-auteur de Le Luxe demain et Le luxe contre-attaque, déclare : “Nous n’avons pas le luxe d’attendre”. Si le luxe cherche à résister à l’épreuve du temps, il faut savoir sublimer ses savoir-faire ancestraux. Une première table ronde regroupe 3 Maisons dont l’identité diffère mais où la transmission du savoir-faire est essentielle. Sandra Lesteven est CSR et sustainability director chez Chaumet, une Maison de haute joaillerie qui connaît seulement 13 chefs d’ateliers en 240 ans d’existence.
Sophie Cotelle est directrice des collections et responsable des sujets RSE de Baccarat, Maison dont le geste verrier, inscrit au patrimoine de l’Unesco, a forgé 13 meilleurs ouvriers de France et 16 meilleurs apprentis de France. Isabelle Capron est conseillère du président Icicle Shanghai Fashion Group, ambassadeur du new Made in China, pour qui la conception du vêtement est un prolongement de la nature. Toutes ont comme point commun la fierté et l’engagement de pérenniser un savoir-faire.
Mieux consommer pour mieux durer
9 heures 40. La cadence s’accélère avec les mots de Laurent Boillot, président de la Maison Hennessy et du Comité Colbert : “On ne peut plus marcher - il faut courir ! Il faut de l’ambition et de l’accélération”. Une seconde table ronde fait ensuite s'asseoir 3 actrices majeures du développement durable au sein des secteurs de la beauté, de l'hôtellerie et des vins et spiritueux. Chez L’Oréal, Elodie Bernadi-Menu explique comment, en parfumerie, une fleur peut être upcyclée.
Chez Moët Hennessy, Sandrine Sommer aborde la question de la régénération des sols et introduit la viticulture régénérative. Comme quoi, dans le luxe, en s’occupant soigneusement du sol, on peut toucher le ciel. Chez Accor, pour Brune Poirson, la question sociale est plus importante que l'environnementale. S’éloigner du buffet à volonté et de son gaspillage dans les hôtels, c’est renoncer à une abondance futile à l’encontre du vrai luxe.
10 heures, le luxe passe à table. Le chef multi-étoilé Alain Ducasse introduit dans les grandes lignes sa charte de la gastronomie durable. Consommer mieux pour manger mieux, c’est penser mieux. Une évolution vers une nourriture plus végétale, c’est surtout alimenter un avenir durable pour la gastronomie et son luxe.
10 heures 15. Pour Pierre Gomy et Françoise Hernaez de Kantar Insights, les consommateurs de luxe n’ont plus de secret. Parmi leurs attentes envers les grandes Maisons de luxe, on retient l’expérience et ses immersions d'exception, de niche comme accessibles à tous - on pense au dernier défilé Margiela par John Galliano en guise d’ouverture virtuelle sur la maison.
Plus encore, le client de luxe cherche à donner du sens à sa consommation. En achetant un produit, c’est à l’engagement concret de la marque que le consommateur se lie ! Enfin, le client attend d’un pied ferme les engagements sociaux-environnementaux de chaque Maison : des lois du travail respectées aux salaires, à la pollution de l’eau, en passant par le packaging, la cruauté sur les animaux ou encore, la santé mentale.
Raconter le luxe, c’est le cultiver
10 heures et demie. Une troisième table ronde pour 3 façonneurs de récits désirables prouve qu’innover est sans doute la meilleure manière de transmettre le luxe aux générations futures. Pour Elisabeth Cialdella, la directrice générale de M Publicité, cultiver la confiance d’un lecteur, c’est le nourrir de figures inspirantes dites “role models”, de sujets pertinents et de formats adaptés, du podcast au live Instagram. Pour Sarah Herz, la directrice du Creative Studio chez Condé Nast France, ce sont les créatifs qui portent à leur tour un récit désirable convaincant. Si Hermès décide de créer son cuir de cactus, c’est pour mieux raconter un luxe réenchanté et non anxiogène.
Luc Wise, le fondateur de The Good Company, se focalise sur le pouvoir de prescription des marques de luxe. Avec, comme parallèle, le théâtre grec antique et sa vocation de plaire et d’instruire, les Maisons de luxe jouissent d’une prospérité économique et symbolique depuis des décennies, ce qui leur permet d’être écoutées et adoubées lorsqu’elles prennent la parole. Alors, pourquoi ne pas conjuguer le manque de ne pas avoir une pièce de luxe avec le manque d’avoir une biodiversité et des solutions pour agir ? Le luxe et son ruissellement ont décidément le pouvoir de rendre l’écologie cool et ultra désirable.
10 heures 50, place aux jeunes. Stéphanie Jolivot est directrice générale du Business Intelligence Pôle Luxe chez Publicis Média. Elle rebondit sur le “cool” introduit par Luc Wise en évoquant ses principaux consommateurs : la Gen Z. À l’heure des cool kids où la hype règne et prend du terrain au sein des processus créatifs, ce nouveau récit jeune et dépoussiéré offre une lecture d’un luxe dit “cool” plein de ressources.
Aux yeux de la Gen Z, une marque de luxe qui met en avant ses actions éthiques, des inégalités sociales à la crise du climat en passant par la santé mentale, c’est cool. La connexion émotionnelle et l'empreinte culturelle entre un consommateur et une Maison de luxe est à son paroxysme. À travers des livres, de nouveaux lieux culturels hybrides et des pièces vintage chargées d’histoire, la Gen Z est au plus près de l’imaginaire du luxe.
Régénérer pour élever
11 heures, la boucle est bouclée. À l’ère d’un design éco-circulaire, 5 figures du luxe durable cherchent à renouer le hautement désirable au hautement responsable. Pour Christelle Capdupuy, chief sustainability officer chez Louis Vuitton, la réparabilité a sa place dans la créativité. Il faut inscrire le design et la conception dans une boucle vertueuse.
Focus sur Coralie de Fontenay, l’invitée de l’ISG Luxury Management. Co-fondatrice et CEO de Luximpact, un groupe de luxe qui transforme le secteur de la joaillerie en relançant des Maisons de joaillerie sur des business models durables. Parmi ses Maisons figure Rouvenat. Fondée il a plus de 150 ans et relancée sur le concept de 1e Maison de joaillerie circulaire, la Maison Rouvenat illustre parfaitement le mouvement des entreprises “impact native”, n’employant que des matières précieuses circulaires. Ce qui fait de Luximpact une start-up joaillière de 150 ans d’histoire !
Pour Coralie de Fontenay, le défi est de faire du nouveau avec de l’ancien, sans pour autant faire du neuf. Plus encore, cette circularité absolue permet d’inventer des choses que l’on n’aurait pu imaginer avant... Soit une nouvelle narration dans l’industrie qui s’ouvre à de nouvelles possibilités, comme la griffe horlogère suisse ID Genève opte pour la pratique disruptive de l’acier 44/41 du Jura 100% recyclé.
11 heures et demie, on trinque à la responsabilité du luxe. Le président de la Maison Ruinart, Frédéric Dufour, conjugue le luxe conscient et sa responsabilité avec la première Maison de champagne de 295 ans. Si elle ne fait pas son âge, c’est bien parce que la préservation de ses vignes permet sa continuité.
Alors que 25% de la terre en Champagne appartient à Ruinart, le reste est aux viticulteurs. C’est donc avec un accompagnement et une collectivité engagée pour la biodiversité que la fraîcheur aromatique des Blancs de Blancs ne perdra pas en goût ni en sens face au réchauffement climatique.
11 heures 40, le mot pour conclure. D’après Hélène Valade, c’est la créativité qui va permettre aux acteurs du luxe de faire face à tous ces enjeux, à la condition de ne pas oublier qui ils sont : des cultivateurs. Le lien avec la nature y est tellement fort qu’il devient, semble-t-il, indispensable de l’intégrer dans les manières de faire et de penser. À méditer.